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Tablettes de Polymnie, 20 octobre 1810 [Les Bayadères de Catel]

Cléon.

Que pensez-vous des Bayadères

Qui font tenir tant de propos ?

Artiste.

Que ce sont des nymphes légères

Qui parfois chantent un peu faux ;

Mais que leur pas, en récompense,

Font naître en nous mille désir :

Jeune Bayadère qui danse

Est l’emblème des doux plaisirs.

Cléon.

Bon ! vous parlez de nos actrices

Et de leurs talents séducteurs ;

Quand je demande des notices

Sur la pièce et sur les auteurs !

Artiste.

Cet article est de longue haleine

Vous voudrez bien m’en dispensez ;

Le sujet n’en vaut pas la peine :

C’est un tourment que d’y penser.

Je hais, il faut je le dise,

Ce long fatras d’accords savants ;

Le contrepoint n’est que sottise

Lorsqu’on veut émouvoir les sens.

Que m’importe qu’un chœur de filles

Répète un chant qu’a fait Mozart,

Et qu’un flûteur siffle des trilles

Pour fatiguer l’air avec art ?

Que m’importe que le poète

Voue à Brama mille C***s,

Et que sa muse peu discrète

Nous occupe de ces pantins ?

Que m’importe qu’on lui reproche

D’introduire un prince ennuyeux

Qui vit et meurt dans la débauche,

Puis ressuscite au rang des Dieux ?

Que m’importe…

Cléon.

                                   Arrêtez, de grâce,

Cette ardeur qui vient vous saisir ;

Que la raison prenne sa place,

Et satisfaites mon désir.

De cette pièce, en bon critique,

Parlez sans fiel et sans courroux.

Qu’aimez-vous mieux, de la musique

Ou du poème ? expliquez-vous ?

Artiste.

Sans métaphore et sans mystère,

Franchement, Monsieur, je le dis,

L’un et l’autre sont à refaire…

Cléon.

Ma foi, j’étais de votre avis !

_____________

Nous n’avons pu nous dispenser d’insérer dans notre Journal la petite pièce de vers qu’on vient de lire, et qui nous a été adressée par un de nos abonnés. D’ailleurs nous pensons que les auteurs seront plutôt flattés d’une critique même un peu amère que d’un silence méprisant. On ne parle beaucoup que des ouvrages qui marquent ; eux seuls reçoivent l’honneur des parodies, des épigrammes et des sarcasmes de toute espèce, tandis qu’on laisse mourir doucement la médiocrité, de sa triste mort.

[…]

Ce qu’on reproche le plus à M. Catel, c’est le plagiat et le pillage ; qu’il y prenne garde ! le public, à la longue, ne pardonne pas cela ; Philidor même s’en est très mal trouvé, et on l’a presque entièrement oublié, malgré la superbe facture de ses partitions, parce qu’on y a reconnu force larcins faits aux ouvrages de Jomelli, de Traëtta, de Gluck, etc.

Un autre de nos abonnés qui aime à plaisanter, a cru devoir lui appliquer un couplet de la fameuse chanson que fit Piron contre Voltaire, sur l’air de la Confession. On peut voir cette chanson, très étendue et très méchante, dans les œuvres de Gilbert, auteur de la satyre sur le dix-huitième siècle. C’est un dialogue entre les Muses et Apollon, où ce Dieu leur demande compte de tout ce qu’a fait Voltaire.

[…]

Pour parodier le jugement d’Apollon, notre abonné y a ajouté les trois couplets suivants, sur le même air.

Apollon, interrogeant toutes les Muses

Dites-moi, que trouvez-vous, mes chères,

Dans ces Bayadères ?

Les Muses.

De bruyants accords,

Des sons discords,

D’âpres manières ;

Et des chants, surtout,

Pillés partout,

Dans choix ni goût.

Apollon.

Quoi ! l’ingrat auprès de vous sommeille !

Pour qu’il se réveille

Je veux qu’un tambour

Sans cesse autour

Roue jour et nuit

Pour qu’on lui rende bruit pour bruit

Et qu’il soit écrit dans le grimoire

Du Conservatoire :

« Fier d’être savant,

L’auteur puisant

Dans sa mémoire,

Fit un opéra

Dont on à peine on se souviendra. »

[…] La meilleure réponse qu’on puisse faire aux critiques, disait un écrivain célèbre, c’est un bon ouvrage. Peu de compositeurs, sont plus en état de faire cette réponse que M. Catel ; il la fera sans doute et nous avons droit de l’attendre. Avant de faire Andromaqueet Phèdre, Racine avait fait les Frères ennemis et Alexandre ; ces dernières pièces étaient médiocres ;  mais elles promettaient mieux et il tint parole. Nous osons même dire que dans Sémiramis, et même les Bayadères, il y a comparativement des idées plus fortes, un style plus châtié que dans les deux premiers ouvrages de Racine. Les chansons, les épigrammes ne doivent donc être, pour M. Catel, qu’un véhicule de plus pour chercher à atteindre la perfection de son art. Il essaye maintenant ses forces en parcourant la carrière ; dès qu’il les connaîtra mieux et qu’il osera s’y confier, en évitant d’emprunter ailleurs ce qu’il peut trouver dans son propre fonds, il pourra forcer au silence et à l’admiration même, cette portion du public qui s’obstine à trouver des défauts dans ses opéras ; il pourra même prendre sa revanche en lui adressant, à son tour, ces beaux vers de Pompignan :

Le Nil a vu sur ses rivages

Les noirs habitants des déserts,

Insulter par leurs cris sauvages

L’astre éclatant de l’Univers ;

Cris impuissants ! fureurs bizarres !

Tandis que ces monstres barbares

Poussaient d’insolentes clameurs,

Le Dieu poursuivant sa carrière,

Versait des torrents de lumière

Sur ses obscurs blasphémateurs.

Amen !

    Personne - 1
  • CATEL, Charles-Simon (1773-1830)
  • Œuvre - 1
  • Bayadères, Les (Jouy / Catel)