Théâtre de l'Opéra-Comique. Zampa
THÉÂTRE DE L’OPERA COMIQUE.
Zampa, opéra-comique en trois actes, musique de M. Hérold, paroles de M. Mélesville.
Zampa, Zampa le brigand qui réveille enfin les échos assoupis de l’O¬péra-Comique ! Mesdames ne vous effrayez, pas, Zampa n’est point un de ces brigands au teint brûlé, aux mains calleuses, à la parole sauvage, comme en savent créer Shakespeare le grossier, ainsi qu’on dit à l’Académie, et Scott le rustique. Zampa est un pirate à la petite moustache bien soignée, au chapeau gracieux ombragé d’une belle plume noire, aux gants de daim, aux bottes à retroussis ; un pirate on ne peut plus fashionable, un vrai pirate né pour être le héros d’un opéra-comique. Et n’allez pas faire ? un reproche aux auteurs de nous moraliser par le spectacle des forbans ; aujourd’hui pour remplir un canevas de phrases à consonances poétiques, ces pauvres auteurs, ne trouvant aucune inspiration dans le présent, ne voyant rien dans l’avenir, sont obligés de demander ainsi secours au passé, d’y copier en les changeant ou les parodiant des scènes grivoises ou brutales, et à en faire soit des mélodrames bien sanglants, bien hideux, soit des opéras-comiques pincés et musqués.
Supposez en en effet, qu’au lieu d’un de ces superbes héros de terre ou de mer qui vont toujours pourchassant femme ou butin, toujours fredonnant chansonnette sur le vin et les belles, faisant traîner leur grand sabre, on s’avisât maladroitement de mettre en scène un bon bourgeois, un marchand de draps ou un percepteur des droits réunis, je vous le demande, quel effet produirait sur le public M. le percepteur entrant chez son voisin sans se faire annoncer, et, au lieu de saluer la dame de la maison et lui demander des nouvelles de sa santé et de celle de ses enfants, s’amusant à filer un air de cinq ou six minutes ? Qui pourrait trouver quelque plaisir à l’entendre, quel intérêt s’attacherait à ses discours ?
Il faut, pour l’opéra-comique en particulier, des rôles sentant au moins le quasi-héroïsme, des rôles qui comportent tout ce qu’a de gracieux, de large, d’imaginatif, le genre pastoral et champêtre. L’opéra comique représente ce vieil esprit français, cet esprit du bon temps, comme disent les rétrogrades, qui, à quelque coup de la fortune qu’il se trouvât exposé, avait toujours une ariette pour la braver et pour se consoler, qui s’en allait par vaux et par monts, gaiement couronné de myrte et de roses, des rosettes au chapeau, des rosettes aux manches, des rosettes aux genoux, des rosettes aux souliers, des rosettes bleues et rouges, et du fard et des mouches et de la poudre. L’opéra comique représente ces jeunes gens grasseyant qui, en quelque pays qu’ils fussent transportés, nullement en peine d’adopter le langage et le ton des lieux, prenait plaisir à les estropier pour faire mieux ressortir leur piquante originalité. C’est l’opéra comique qui, par le flageolet de ses roucoulants compositeurs, se promène indifféremment, toujours pimpant, frisé et pommadé, des bords de l’Orénoque aux bords du fleuve Rouge ou Jaune, fait bondir de la même mesure, dans le même quadrille-type, la Bayadère des bords du Gange, la pétillante Moresque, l’élégante de nos salons, la bergère de nos campagnes : c’est lui qui, par les accords de ce flageolet, appelle les moutons au bercail, fait gémir une nymphe éplorée et prosterner tout un peuple pour adresser ses prières au dieu du jour.
L’Opéra-Comique, mort pour quelque temps, a ressuscité d’une minière brillante ; il était plein comble de beaux messieurs et de belles dames que j’ai vus bien des fois en extase. Cela nous prouve qu’il est dans le public des gens qui nourrissent de vives répugnances contre les novateurs de toute espèce ; qui préfèrent aux sensations désordonnées parfois, mais souvent passionnées et larges, que provoque Rossini, par exemple, ce genre fardé qui est en musique ce qu’était en peinture Boucher, en littérature Florian, Marmontel, M. de Jouy, madame de Genlis et M. de Bouilly.
Zampa est un jeune débauché qui a quitté le nom de ses pères, qui s’est fait capitaine de pirates et qui désole par ses pillages les côtes de la Sicile. Ou croit le tenir renfermé dans les quatre murs d’une prison, et le voilà qui, déjà amoureux de la fille du riche et vieux Lugano, a pénétré dans son château, l’a fait captif : qui, apprenant que la jeune personne va contracter un mariage avec le jeune comte Alphonse, vient énergiquement s’opposer à cet hymen, et annonce à Camille qu’il faut qu’elle se décide à l’épouser si elle veut sauver les jours de son père. Puis pour s’assurer de tout son monde, il fait arrêter le comte Alphonse, et pendant qu’avec sa bande, dans une salle du château, il est à deviser d’exploits amoureux et guerriers, un de ses gens est vivement frappé de la physionomie que prend la statue d’une jeune fille. C’est Elice [sic], qui est morte après avoir été séduite par un pirate, par Zampa. La bande effrayée interrompt son orgie, et, pour la rassurer, Zampa prend un de ses anneaux et le met au doigt de la statue. La statue a frémi, ce dont l’esprit du Zampa est vivement frappé, chose fort naturelle. Lorsque plus tard il s’occupe des préparatifs de son hymen, la statue se dresse, le frappe sur l’épaule et disparaît. Mais cette fois Zampa, distrait et amoureux, n’y fait pas attention.
Cependant le comte Alphonse est parvenu à s’évader, et ayant découvert que Zampa attendait des nouvelles de son vaisseau par un de ses gens qui devait débarquer à un lieu désigné, il s’y rend avec des soldats de son régiment, saisit le pirate subalterne avec ses papiers, et vient les présenter à Zampa, croyant par là le confondre, et comptant bien ensuite lui mettre la main au collet. Mais pas du tout ; ces papiers sont la grâce que le vice-roi accorde à Zampa, à la condition que celui-ci viendra l’aider à combattre les Ottomans. On n’est pas plus attrapé que l’est alors le comte Alphonse. Aucun obstacle ne s’oppose plus aux projets du pirate, qui conduit sa victime à l’autel. La jeune fille n’a pas osé lui résister, ni divulguer son secret amour, car de sa discrétion dépend la vie de sou père. Mais à peine le prêtre se dispose-t-il à célébrer l’hymen, que la statue fatale sort encore une fois de terre, et entraîne dans un gouffre le perfide Zampa, lequel se trouve n’être autre chose que le frère d’Alphonse. Bien entendu que celui-ci épouse son amante, et que celle-ci retrouve son père.
… La fée Cabosse ayant ainsi réuni ces tendres enfants, nous croyons n’être pas téméraires en ajoutant qu’ils vécurent longtemps et qu’ils eurent beaucoup d’enfants.
L’on voit qu’il y a une grande similitude entre le plan de cette pièce et celui de Don Juan, de Molière ; il y a la même différence entre les deux poèmes qu’entre la musique de M. Hérold et celle de Mozart.
Au reste, cet opéra, comme tous ceux de M. Hérold, est écrit avec pureté : le style en est clair et l’instrumentation facile. Pour l’Opéra-Comique c’est une bonne musique qui aura du succès. Madame Casimir, qui joue le rôle de la fille de Lugano, a très joliment chanté, notamment une ballade du premier acte, qui ne manque pas de couleur : c’est le meilleur rôle de la pièce.
L’administration a tout fait pour assurer la réussite de cette œuvre. La scène est avancée de quelques pieds, de manière que les sons arrivent en entier aux spectateurs. L’orchestre est peut-être trop nombreux pour la musique qu’il est chargé d’exécuter. Somme totale, le public, tel qu’il est, a été satisfait de la musique, de la mise en scène et des décors, et il a témoigné sa satisfaction.
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Ferdinand HÉROLD
/MÉLESVILLE
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publication date : 16/06/25