Chronique musicale. Zampa, la musique, les auteurs
CHRONIQUE MUSICALE.
[…] Zampa, la musique, les acteurs.
[…] J’ai promis un examen détaillé de la musique de Zampa.
Je commence sans aucun prélude par le premier coup d’archet de l’ouverture ; il est du plus grand éclat, toutes les forces de l’orchestre se réunissent sur ce début rapide et brillant. Cette phrase est pleine de verve et de franchise, elle doit reparaître pour servir de motif principal au chœur des buveurs, et devenir ainsi le pivot sur lequel tourne la finale du premier acte. Après un exorde peu développé dans le ton de ré, l’archer et l’embouchure attaquent un si bémol à l’unisson qui est d’un grand effet et dont la vibration puissante et monotone contraste avec les jeux d’harmonie que le musicien a su lui faire succéder. Plusieurs modulations ingénieuses amènent un chant mélancolique et religieux où les bassons et les clarinettes jouent un rôle principal. Ce chant est celui de la ballade ou complainte d’Alice Manfredi. On voit que M. Hérold a suivi la marche adoptée par beaucoup d’auteurs en composant sa symphonie avec les motifs les plus remarquables de l’opéra. L’ouverture de Zampa offre pourtant une innovation qui mérite d’être signalée.
Après l’exposition des parties qui forment le premier plan de ce morceau, après la cadence sur la dominante du ton de la, arrive la phrase incidente écrite en la selon l’usage ordinaire. Mais cette phrase est répétée de suite en ré pour passer rapidement à la péroraison. Par ce moyen expéditif, M. Hérold ne s’arrête point en la, ne conclut point sa première partie avant d’attaquer la seconde. Son ouverture est d’un seul jet et file vers son dénouement avec la plus grande vivacité. Les instrumens de cuivre ont une entrée dont l’éclat et la puissance agissent d’autant plus sur le public que l’exécution en est parfaite. La réponse des violons est dessinée de main de maître, et cette strette peut soutenir la comparaison avec ce que nous avons de mieux dans ce genre. Rossini avait déjà abrégé les ouvertures en supprimant le travail d’harmonie qui lie les deux parties bien distinctes d’une semblable composition. Il est vrai que Mozart avait déjà pris cette licence dans le Nozze di Figaro. Voilà que M. Hérold enchérit encore sur ses devanciers en retranchant une bonne moitié de cette première partie. Dans ce siècle on est impatient ; le public veut que les spectacles soient longs, mais que l’on aille vite en besogne. On s’empresse de servir sou goût.
L’introduction commence par un chœur dont le rhythme rappelle celui des Deux Nuits : La belle nuit, la belle fête ; les repos, la cadence de ces mots, Dans ces présens quelle magnificence, ont appelé une même distribution de notes ; au reste, ce que j’en dis n’est qu’un petite chicane et n’enlève rien au mérite du morceau. L’air de Camille est bien ; on y remarque vers le milieu un trait d’orchestre plein d’élégance et de délicatesse. Cet air, encadré dans l’introduction, commence en la bémol pour finir en la naturel ; je le crois du moins, peut-être me suis-je trompé. La tonalité du début ne m’avait laissé qu’une impression fugitive, lorsque je me suis avisé d’en faire l’observation vers la fin, Cependant je persiste à penser que M. Hérold a pris encore cette licence. Mme Casimir a dit cet air avec beaucoup de charme, et l’a terminé par des traits exécutés hardiment, et dont la réussite a été complète. Un de ces traits, celui qui monte jusqu’à l’ut en notes détachées, tient de l’ancien style, et n’en a pas eu moins de succès devant le public de l’Opéra-Comique. À la bouillotte, on gagne souvent le coup par la fausse carte qui devait le faire perdre [sic]. Le chœur qui précède l’entrée d’Alphonse est d’un rythme original, d’un joli dessin, mais les couplets que chante ce personnage sont faibles.
La ballade est un morceau qui devait captiver l’attention du spectateur ; il fallait que la musique en fut agréable et variée dans ses formes ; c’est le récit des infortunes d’Alice Manfrédi dont la statue agit d’une manière si importante dans la pièce. M. Hérold a rempli ces conditions essentielles ; sa ballade a fait fortune au théâtre, et sera bientôt chantée dans tous les salons. La partie historique est déclamée avec justesse et clarté sur un orchestre de la plus grande simplicité ; la physionomie du morceau change tout à fait sur la dernière phrase qui est une prière, et le jeu d’instrumens à vent qui l’accompagne est d’une délicieuse suavité. Il est inutile de faire observer que le troisième couplet est soutenu par un accompagnement en rapport avec le dénouement de cette aventure tragique, et dans lequel les cors poussent d’harmonieux gémissemens. Le trio Parlez bas est bien en scène, c’est de la déclamation posée sur un orchestre agité ; la ritournelle finale est d’une piquante originalité de modulation et de dessin. Cette ritournelle s’éteint peu à peu, et le dialogue parlé recommence avant qu’elle ne soit finie. Pendant ce trio, les personnages parlent pour ne rien dire et ne rien conclure ; la musique fait pardonner cette invraisemblance.
Le quatuor en canon est coupé à la manière des Italiens, c’est un des morceaux les plus remarquables de l’ouvrage. Je signalerai aux amateurs un dessein de violoncelle qui vient animer le motif à sa reprise, un agitato très dramatique, une superbe cadence finale. Le finale présentait de glandes difficultés pour le compositeur, et des objets de comparaison qui devaient l’effrayer. Dans le Comte Ory, dans les deux Nuits, MM. Rossini et Boïeldieu avaient traité des scènes de buveurs de manière à laisser peu d’espoir aux musiciens qui seraient obligés de suivre leurs traces. M. Hérold a triomphé malgré ces obstacles, et nous a donné un chœur de buveurs plein de vigueur et de folie, sans imiter en rien ses devanciers. Les chœurs de cette espèce, ceux des conspirateurs, ont un caractère si prononcé, leurs moyens d’exécution agissent si fortement sur le public, qu’un homme de talent a toujours beaucoup de chances de succès en écrivant un morceau de ce genre. La chanson de Zampa est une sicilienne, c’est un fruit du pays, c’est sur ce rhythme national que doit chanter un pirate sicilien, au pied de l’Etna. Cette chanson a de la rondeur et de la franchise, et le refrain, dit à l’unisson par tous les choristes, ajoute encore à la vérité de ce chant, et le distingue du discours musical destiné à suivre l’action dramatique.
Je dois signaler le trait que l’orchestre exécute lorsque Daniel reconnaît la statue d’Alice ; la marche de basse en est excellente ; les triolets admirablement détachés par les violons sur l’entrée de Dandono ; la mélodie de la flûte, qui est toujours gaie, bien que l’orchestre devienne sombre et agitée ; les contrastes enfin de la joie affectée de Zampa et de la terreur de ses compagnons. Ce finale est fort beau ; il dure quinze minutes ; on l’écoute avec intérêt, avec plaisir, d’un bout à l’autre, et cependant il y a peu de mouvement parmi les personnages.
Le chœur religieux qui ouvre le second acte manque d’originalité, mais il est bien exécuté, quoique les chanteurs soient placés dans la chapelle et complètement séparés de l’orchestre. La cavatine de Zampa est très longue ; on écrit pour Chollet des airs interminables, comme ceux que l’on faisait autrefois pour Martin. Je sais bien que le public se plaît à entendre ce chanteur, à l’entendre long-temps ; cependant je crois que la cavatine de Zampa marcherait plus librement si l’on supprimait une de ses trois reprises. La cassette d’Harpagon était de la couleur des cassettes ; la cavatine de Zampa ressemble un peu à toutes les cavatines.
Le duo syllabique, chanté par Féréol et Mme Boulanger devient trio à l’arrivée de Dandono ; j’ai déjà fait l’éloge de ce morceau. Son exécution donnerait de bien meilleurs résultats, si l’un des deux comiques avait une voix de basse : les voix de ténor ne conviennent point au débit rapide, elles fournissent trop peu de son, et ce son faible n’est pas convenablement placé pour l’effet. Dans le duo agité, chanté par Moreau et Mme Casimir, je signalerai d’abord un dessin d’orchestre bien suivi, un andante dans lequel les voix exécutent un joli trait en tierces sur un pizzicato d’un très bon effet, si l’on excepte pourtant quelques tierces ascendantes dont le mouvement ne s’accorde pas bien avec celui de l’accompagnement, et chagrine l’oreille dans un moment où l’auteur s’est proposé de la charmer. La strette marche bien ; la cabalette est noble et gracieuse, mais elle n’est pas sans rapports avec celle du duo du 2e acte de Guillaume Tell.
Le chœur de la noce est fait avec adresse, voilà tout ; la barcarolle est charmante ; l’air de danse est d’un bon effet, surtout quand il passe en mineur après l’apparition de la statue. La sombre vapeur qui se répand sur la scène, éteint la lumière du jour et porte son voile sur les sons ; l’influence du spectre glisse un bémol sous les doigts des exécutans et donne ainsi une teinte de mélancolie à l’air de ballet. L’andante du second finale est bien fait et bien exécuté ; Mme Casimir, dont la voix s’est élevée jusqu’au ré, descend au sol du contralte, ce qui marque une étendue de plus de deux octaves et demie. La strette est en mi naturel, M. Hérold pose sur cette tonique une modulation en fa naturel dont le résultat est plein de charme ; cette seconde est si bien préparée qu’elle perd toute sa dureté, le ton de fa s’empare tellement de l’oreille qu’il faut écouter avec beaucoup d’attention pour se convaincre que le mi sonne toujours à la basse.
Un troisième acte, à l’Opéra-Comique, est toujours peu garni de musique, on devrait adopter enfin la coupe italienne en deux actes, dont la disposition est bien plus heureuse pour un opéra. Rien n’est plus facile que d’établir cet usage, il suffit d’accorder aux auteurs le même droit pour deux que pour trois actes. Ils ne s’efforceront plus alors d’allonger leur partition pour nous donner un dénouement séparé du reste de la pièce par un entracte. La chanson d’Alphonse, déguisé en batelier, module comme la chanson du batelier d’Otello, et son refrain rappelle la romance du Crociato, Giovinetto cavalière. Le chœur de la sérénade est joli et très bien dit comme tous les chœurs de Zampa. Le dernier duo pourquoi trembler renferme une belle phrase que Chollet exécute avec autant de charme que d’expression : cet acteur et Mme Casimir ont beaucoup de chaleur et d’entraînement dans la péroraison de ce duo.
J’ai fait connaître le fort et le faible de la partition de Zampa, la part de l’éloge l’emporte sur celle de la critique. Je le répète, ce nouvel opéra fait beaucoup d’honneur à M. Hérold, ce compositeur n’avait pas encore atteint l’élévation de style que l’on applaudit dans Zampa, c’est un opéra écrit en conscience, chose très rare de nos jours.
Chollet est en possession des rôles de voleur et de pirate. Il a bien saisi le caractère de Zampa, son entrée, ses principales scènes ont produit tout l’effet qu’on devait en attendre. Il a joué son rôle en comédien et l’a bien chanté. Mme Casimir mérite les mêmes éloges, et la dernière scène du troisième acte a montré que les grands mouvemens dramatiques n’étaient pas trop au-dessus de ses forces. Mme Boulanger a toujours beaucoup d’aplomb, et Féréol est assez plaisant dans le rôle de l’autre Sganarelle. Juillet est chargé de représenter le sonneur Dandono ; cet acteur n’a pas de grave dans la voix ; ce rôle convenait à Henri, qui chante la basse, et certes il n’eût pas été moins comique. Zampa éclipse son heureux rival. La partie d’Alphonse est peu importante et se compose seulement de deux chansons, d’un duo que Moreau chante avec Mme Casimir, et que l’on a applaudi.
Les costumes sont élégans et riches, les décors de M. Gué ont été remarqués, la chambre gothique surtout. La mise en scène que l’on doit à M. Solomé offre du mouvement et de la variété dans les groupes. La salle était pleine à la 3e représentation de Zampa et le succès de cet opéra s’accroît de jour en jour. […].
X. X.X.
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Ferdinand HÉROLD
/MÉLESVILLE
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publication date : 16/06/25