Chronique musicale. La Carmélite
CHRONIQUE MUSICALE
Théâtre de l’Opéra-Comique : La Carmélite, comédie musicale en quatre actes, de M. Catulle Mendès, musique de M. Raynaldo Hahn.
La Carmélite, c’est l’aventure de Louise de la Vallière et le drame de ses tristes amours avec le Roi-Soleil ; c’est aussi, l’évocation des intrigues, des fastes et des misères d’une cour de conte de fées, surgie du fond de l’histoire, mais éclairée par un ciel de légende, de sorte que, de ce qui fut la Vérité, rien ne demeure que ce qui reste la Poésie. Du moins, l’intention de M. Catulle Mendès était-elle que la Carmélite fût cela et rien que cela. Pas du tout un opéra ni un mélodrame. Rien qu’une manière de grande chanson populaire. L’idée était charmante.
Mais, en prenant corps, en se réalisant en mots, en notes et en spectacle, il faut convenir que cette conception s’est notablement transformée ; elle s’est refroidie de la façon la plus fâcheuse, elle s’est alourdie de pastiches littéraires et musicaux qui ont pour principal inconvénient d’assigner à l’action de ce conte légendaire une époque précise et un lieu fixé. De sorte que le charme s’est presque évanoui et qu’au lieu de la grande chanson nous n’avons qu’un petit opéra, non des meilleurs, qui semble tiré du Vicomte de Bragelonne.
Est-ce absolument la faute à M. Catulle Mendès si l’Histoire ici se rebelle et si la Poésie, en devenant Théâtre, perd les tons délicats et l’accent persuasif de ses rythmes et de ses rimes, un peu comme un langage dont la musique native, proférée par une bouche étrangère, dépouillerait ses vertus et son charme ? Oui et non. Oui, car c’est une erreur – et très grave – de penser qu’on puisse à volonté créer de la légende avec des aventures historiques dont les péripéties n’échappent, justement, à la banalité que par l’éclat de leurs héros. Oui encore, parce que, même en supposant le but atteint et l’atmosphère légendaire créée dans le poème, cela n impliquerait point que la musique fût indispensable à l’achèvement d’un tel artifice littéraire. Or, si elle n’est pas indispensable, elle est tout au moins inutile. Oui enfin, puisque, cette nécessité admise, le sentiment tout verbal et la forme toute parnassienne des vers de M. Catulle Mendès sont les choses du monde les plus contraires à la musique, j’entends à la musique dramatique.
Mais où cesse la responsabilité du poète commence celle du musicien et il faut bien convenir qu’ici toute la faute n’est pas au premier. Si la Carmélite est dépourvue de la magique apparence de rêve quelle eût dû revêtir et si elle s’est changée de véridique irréalité en réalité moins vraie, c’est bien un peu à M. Reynaldo Hahn que M. Catulle Mendès peut en demander compte. En multipliant les pastiches et les citations, le compositeur a fait tout ce qu’un musicien peut faire pour donner à sa musique la sorte de précision historique et locale dont est susceptible une partition quelconque. Il a appuyé avec une insistance déplorable sur les points archéologiques sans paraitre s’apercevoir que sa propre invention faisait disparate avec sa complaisance d’érudit. Ainsi, au lieu de pallier les erreurs du livret – ce qu’un plus habile eût pu faire – il les a exagérées à un tel degré, que l’idée première du poème est comme submergée et que, malgré le vague intentionnel des noms, des dates et des lieux, il est impossible à quiconque de ne pas assigner aux personnages une réalité trop proche pour qu’on puisse s’illusionner beaucoup sur leur lyrisme.
On ne songerait pas à reprocher à M. Raynaldo Hahn de manquer d’habileté, si sa musique était par elle-même assez belle pour qu’on ne s’aperçût point de ses défauts matériels. Mais on doit avouer qu’elle laisse trop souvent à l’auditeur le loisir de les remarquer et que la substance, ici, ne l’emporte pas sur la mise en œuvre. M. Raynaldo Hahn est certainement un musicien doué ; il a des qualités d’amabilité et de grâce ; il sait donner à une scène l’allure vraie et le tour exact ; il excelle dans l’expression des sentiments tendrement superficiels ; il a composé des mélodies justement goûtées. Son talent n’est ni assez varié ni assez souple, encore, ni son métier assez sûr pour le théâtre. Ses dons les plus certains semblent s’y volatiliser sans bénéfice pour ceux qu’il ne paraît pas posséder et la parcelle d’or authentique que recèle sa musique y prend volontiers des reflets de clinquant.
C’est d’ailleurs, une chose étrange que la vulgarité où donnent les compositeurs réputés délicats quand ils haussent le ton et prétendent à la grandeur. M. Hahn n’est pas seul à illustrer ce cas. On pourrait citer des maîtres plus fameux que semblent abandonner, en pareille occurrence, les notions les plus élémentaires de goût, de style et de mesure, qui confondent la brutalité et la vigueur, multiplient les rythmes rebattus et affichent des préférences marquées pour le cornet à postons. Mais je n’ai à m’occuper ici que du musicien de la Carmélite. Sans aller jusqu’à dire qu’il soit un exemple complet de cette sorte de réversibilité, il est bien permis de s’étonner du peu de distinction de ses idées et du manque de finesse de son style, dès qu’il cesse de citer ou de pasticher les chants populaires et les maîtres anciens. Il n’est pas jusqu’à son instrumentation qui ne se ressente des fâcheux effets de sa métamorphose d’homme de goût en homme de théâtre : trop souvent confuse et vide, dans les passages où elle vise à l’éclat elle couvre les voix de sonorités peu choisies.
Si la Carmélite est, quand même, un spectacle agréable, c’est à M. Albert Carré qu’il convient d’en rapporter l’honneur. La mise en scène de l’ouvrage, les décors, les costumes, sont dignes de la maison dont il a su porter si haut le renom et l’éclat. Quant aux très nombreux interprètes qui se partagent les rôles, force m’est de faire un choix parmi eux et de rendre simplement hommage au talent de chanteuse de Mlle Emma Calvé, au bon style de Mlle Marié de l’Isle, à la beauté de Mlle Sauvaget, à louer la jolie voix de M. Muratore et la belle diction de M. Dufrane. Il va sans dire que l’orchestre, sous la direction si musicale de M. André Messager, est, comme d’ordinaire, excellent.
P. D. [Paul Dukas]
Persone correlate
Opere correlate
La Carmélite
Reynaldo HAHN
/Catulle MENDÈS
Permalink
data di pubblicazione : 17/03/25