Opéra-Comique. La Carmélite
Opéra-Comique : la Carmélite, comédie musicale en quatre actes et cinq tableaux, de M. Catulle Mendès musique de M. Reynaldo Hahn.
Les premières amours de Louis XIV sont plus les amours d’un prince de féerie que les amours d’un roi de l’histoire. Elles ont une grâce somptueuse et ingénue qui enchante comme un magnifique lever d’aurore. Et la fraîcheur de leur sincérité embaume pour l’éternité la jeunesse de ce roi Soleil dont les radieux rayons devaient un jour s’éteindre si complètement dans l’embourgeoisement du mariage secret avec la veuve Scarron. Dégagées des contingences et des extériorités, allégées des conventions et prisonniers, du commentaire historique, ces amours relèvent de la légende et rentrent dans cette vérité purement humaine que la musique peut seule exprimer.
M. Catulle Mendès, séduit par le caractère de l’exquise La Vallière, si profondément amoureuse de Louis XIV, laquelle, délaissée, s’ensevelit dans le froid d’un couvent pour expier le crime d’avoir été tendre et fidèle, M. Catulle Mendès, voulant mettre à la scène la liaison célèbre de la fille d’honneur et du roi, comprit que, rivés à l’histoire, les personnages ne pouvaient offrir l’intérêt général et humain indispensable à l’expansion musicale. Usant de son droit de poète, il a élargi son horizon et, crevant le cadre de l’anecdote, il a grandi son sujet en le lançant en pleine fantaisie.
De telle sorte que, dans la Carmélite, il n’est question ni de Louis XIV, ni de La Vallière, ni de Bossuet, ni de la Montespan, mais du roi, de Louise, de l’évêque, d’Athénaïs. En la circonstance, le vague dont les personnages sont entourés est une liberté.
Le livret de M. Catulle Mendès est digne du maître qui l’a signé. Il est vivant, pittoresque, ingénieux et, ce qui n’étonnera aucun des admirateurs du grand artiste de lettres, regorge de beaux vers aux rimes d’or. Écrit pour servir de prétexte à la musique, il abonde en situations et en oppositions heureuses. S’il n’en clôt aucune nouveauté en ses pages, si la psychologie y est mesurée, on peut dire que rarement livret fut mieux combiné pour la scène et exhala plus délicat parfum de poésie savoureuse. Le sujet se devine. Le roi aime Louise qu’il a entendue tracer un portrait enthousiaste de sa personne. La jeune fille s’abandonne à cette tendresse avec la belle confiance de ses dix-sept printemps. Puis, le roi lui préfère Athénaïs, et Louise souffre, se rappelle le passé emparadisé par l’amour ; elle se sacrifie, humilie son orgueil pour mériter la miséricorde de Dieu. Enfin, elle entre au couvent des carmélites où, après la cérémonie de la prise de voile, la reine, se haussant jusqu’au pardon, donne à la pécheresse repentie le baiser qui absout et relève.
Ce sont là les principales lignes du sujet, mais, ce dont il est difficile de donner une idée même approximative, c’est de la grâce légère d’une foule de scènes, de la force d’émotion de certaines situations, de l’incessante fertilité d’invention dans la trouvaille jolie et du plaisir que l’on prend à suivre les sinuosités d’une action, toujours simplement et logiquement conduite, en dépit des accès de fantaisie délicieuse qui la secouent curieusement.
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C’est par le charme – un charme frêle de fleur languissante – que la musique de M. Hahn se distingue surtout. Elle est sans excès d’aucune sorte et jamais, même dans les situations les plus dramatiques, l’idée ne s’y traduit en vastes écroulements de notes, en images pourprées. On dirai que M. Hahn a l’horreur de la force et éprouve une secrète volupté à se laisser bercer par le doux susurrement des noies à peine frôlées, exprimant comme à regret un minuscule rêve de beauté mystérieuse.
Ceci constaté, il nous faut reconnaître que la partition de M. Hahn, traitée avec une sagace intelligence, n’est dénuée ni d’intérêt, ni d’agrément. La pensée ne s’y élève pas très haut, cela est certain. Tapie dans la grisaille, elle sort peu d’un engourdissement évidemment voulu mais elle est toujours aimable, gracieuse et distinguée.
Dans les deux premiers tableaux, M. Hahn a fait preuve d’une adroite délicatesse en pastichant habilement la musique de Lulli. La scène qui ouvre l’œuvre notamment – scène qui remet en mémoire une scène du Bourgeois gentilhomme – a du mouvement. L’entrée du roi, malheureusement, est froide. Le héros d’une pièce a droit, ce semble, a plus d’égards. Quoi ! pas la moindre phrase ne blasonne, ne salue un pareil monarque… Les premiers airs de Louise, sans relief particulier, sont soulignés, par instants, par d’agréables dessins d’orchestre. La chanson « Sylvain bocagers » est charmante.
Au second acte, la scène entre la Sorcière et le Sacrilège manque de violence, de couleur et d’accent satanique. Les pizzicati et les courts murmures d’instrument sont un commentaire insuffisant aux horreurs que trament les deux êtres sinistres. Le commencement du duo entre Louise et le roi est ravissant : un pur délice à la Massenet. Et la vision de la reine à la fenêtre termine l’acte d’une façon exquise. Peut-être, à ce moment capital, l’orchestre devrait-il exprimer plus de douleur que de langueur. Après tout, rien ne prouve que nous ayons raison.
Nous passons rapidement sur le troisième acte, où se remarquent deux chansons l’une, « Louison la pauvrette », qui n est pas indifférente l’autre, « Sire le roi qui commandez, en France », laquelle exhale un subtil parfum de chose ancienne. À noter aussi des velléités orchestrales de couleur dramatique, pendant la scène de Louise et du roi, dans la nuit.
Le cinquième tableau – « la Prise de voile » – est le meilleur de l’ouvrage. Il y a plus de largeur dans la facture. Un souvenir de Hændel et de Bach plane sur cette scène, que renforce une intéressante exposition de fugue. Ce tableau à effet, clôt la Carmélite d’une manière peu commune.
La mise en scène est admirable des décors superbes et des costumes d’une richesse extraordinaire. Comme il est de tradition à l’Opéra-Comique, ce fut un enchantement des yeux.
Si nous disions que Mlle Calvé est une Louise frêle et fine, on ne nous croirait pas et l’on n’aurait pas tort. Mais, le personnage mis à part, il est incontestable que la voix de Mlle Calvé est toujours d’un timbre rare et que l’artiste s’en sert avec un art consommé.
M. Dufranne est remarquable dans le rôle de l’évêque, qu’il tient avec une autorité magistrale. M. Muratore a une fort agréable voix. Mlle Marié de l’Isle trouve moyen de ne pas passer inaperçue dans le personnage assez effacé de la reine. Mlle Sauvaget est belle à miracle, et un nombre respectable d’artistes, hommes et femmes, incarnent à la satisfaction générale les moindres rôles de la Carmélite.
Le public de la première représentation salua de ses plus enthousiastes bravos la comédie musicale de MM. Catulle Mendès et Raynaldo Hahn.
André Corneau
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date de publication : 17/03/25