Théâtre de l'Opéra-Comique. Zampa
THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE ZAMPA, OU LA FIANCÉE DE MARBRE,
Opéra en trois actes, paroles de M. MÉLESVILLE, musique de M. HÉROLD.
Premier article.
Bien des révolutions se sont opérées dans la destinée de l’Opéra-Comique depuis qu’un petit nombre de comédiens italiens en jetèrent les premiers fondemens, sous le règne de Louis XIV ; aucune ne fut plus remarquable que celle qui vient de se faire. Un mois s’est à peine écoulé depuis que l’administration de ce théâtre a passé des mains de M. Boursault en celles de M. Lubbert, et ce court espace a suffi pour tout changer. Alors, quand on voulait parler d’un spectacle dont toutes les parties étaient négligées et qui n’inspirait au public que du dégoût, on citait l’Opéra-Comique : s’agissait-il d’un mauvais orchestre ? c’était celui de l’Opéra-Comique ; de choristes sans voix, chantant faux et manquant à la mesure ? cela se trouvait à l’Opéra-Comique ; d’une exécution dépourvue de soins et de goût ? c’était encore l’Opéra-Comique. Point de recettes ; des dépenses à engloutir la fortune la plus solide ; point de salut pour le présent, point d’espoir pour l’avenir : tel était le tableau que présentait alors un théâtre autrefois florissant et un genre de spectacle déchu de la faveur publique. Que s’est-il donc passé qui, dans un mois, a changé tant de mal en un bien dont tout le monde vient d’être frappé ? Je vais essayer d’en rendre compte.
Plus occupé du soin de faire une salle élégante et de la décorer avec goût que de construire un théâtre favorable à la propagation des sons par les dispositions de ses lignes acoustiques, l’architecte qui a tracé le plan du nouvel Opéra-Comique, a si mal pris ses mesures que, naguère, la musique ne produisait de l’effet que dans les corridors qui se trouvent derrière le théâtre, en sorte que le résultat était précisément le contraire de ce qu’il devait être. Au lieu de frapper directement contre le tambour de la première galerie pour se répercuter dans la salle, la voix des chanteurs se perdait dans le ceintre : l’orchestre, placé beaucoup plus bas que le parterre, s’épuisait en efforts inutiles pour projeter au loin ses masses sonores ; enfin, tels étaient les défauts de cette salle, qu’un bon orchestre et des chanteurs excellens y auraient perdu une partie de leur mérite.
Frappé de ces inconvéniens, M. Lubbert s’est décidé à sacrifier toute la partie de la salle qu’on nomme l’orchestre payant, et à faire avancer la scène de manière à mettre les chanteurs en avant de la ligne du ceintre. En même temps, il a fait relever le théâtre de telle sorte que les lignes sonores, au lieu de se porter sous la première galerie, viennent frapper contre son centre. L’orchestre, également relevé sur un tremplin, s’est considérablement agrandi dans toutes ses dimensions ; enfin, rien n’a été négligé pour corriger les défauts acoustiques de la salle, et le succès a été complet.
Profitant des circonstances favorables qui mettaient à sa disposition de bons musiciens, M. Lubbert a remonté l’orchestre et l’a augmenté de telle sorte qu’il en a fait un des meilleurs qu’il y ait en France. Des symphonistes jeunes et pleins d’ardeur ont succédé à de vieux musiciens fatigués. Sous la direction de M. Valentino, ils déploient une énergie, une intelligence rare ; les nuances les plus délicates sont rendues avec un fini parfait, et la musique loin de s’affaiblir par l’exécution comme cela n’arrivait que trop souvent autrefois, s’embellit maintenant de tout ce qu’il y a de magie et d’effet dans les ressources d’un orchestre excellent.
Les mêmes réformes, les mêmes améliorations ont été faites dans les chœurs. Devenus plus nombreux, recrutés de voix sonores et fermes, ils sont aujourd’hui aussi satisfaisans qu’ils l’étaient peu autrefois. Ce n’est plus cette mollesse d’attaque, ce désaccord qui blessait naguère les oreilles les moins expérimentées ; c’est de l’ensemble et de la justesse. La métamorphose est aussi complète qu’il est possible.
Autrefois, M. Pixéréoourt faisait preuve de beaucoup d’intelligence et d’expérience dans la mise en scène des ouvrages ; depuis sa retraite, cette partie importante avait été négligée dans presque tous les opéras ; M. Solomé, qui vient de quitter l’Opéra pour entrer à l’Opéra-Comique, a déjà fait dans Zampa d’heureuses innovations qui ont contribué au succès éclatant que vient d’obtenir cet ouvrage. Les entrées, les sorties des choristes et des comparses sont bien réglées ; leurs mouvemens sont dessinés avec goût. Qu’on ne s’y trompe pas, ces accessoires ajoutent beaucoup à l’effet et au mérite des ouvrages.
J’ai souvent blâmé les fautes de M. Lubbert. Le désir de conserver à l’Opéra une position qu’il devait à une faveur de cour, et qu’une intrigue pouvait lui ôter, lui faisait consumer en diplomatie bureaucratique un temps précieux qu’il dérobait aux soins de l’administration de son théâtre. À l’Opéra-Comique, ce n’est pas la même chose : là, son sort ne dépend que de lui ; sa fortune est dans ses mains. L’intérêt particulier bien entendu vient seconder l’intelligence qu’on ne peut lui refuser. Plus de paresse, plus de monopole, et ses succès seront assurés ; ce qu’il vient de faire en peu de temps est une preuve incontestable d’habileté ; il est juste que je le déclare, et je le fais avec plaisir.
L’auteur de Zampa avait donné d’abord à son opéra le titre du Corsaire ; il l’a changé depuis lors pour celui de la Fiancée de Marbre, plus piquant pour la curiosité. Le sujet, tout d’invention, rappelle un peu celui de Don Juan dans ses effets et dans son dénouement ; mais il est traité avec art dans quelques parties de la pièce. Le troisième acte seul laisse quelque chose à désirer. Voici comment M. Mélesville a bâti sa fable.
Un fameux pirate, nommé Zampa, est devenu la terreur de Naples et de la Sicile ; surpris enfin par les troupes du vice-roi, il a été jeté dans les prisons de l’État, condamné à mort, et dans la crainte qu’il échappe encore au sort qui l’attend, son signalement a été envoyé à tous les officiers du gouvernement. Alphonse, l’un d’eux, vient de le recevoir au moment où Camille, fille d’un riche négociant, va lui donner sa main. Des fêtes magnifiques se préparent pour célébrer ce mariage ; des ouvriers sont occupés à décorer la vaste galerie du château. Cette galerie est ornée de statues : l’une d’elles représente les traits d’Alice Manfredi, jeune fille qui, après avoir été séduite par un seigneur qu’elle aimait, a été abandonnée, et qui, après avoir langui quelque temps dans une vaine attente du retour de son amant, est morte à la fleur de l’âge. Les habitans conservent encore le souvenir de la bonté de son cœur, et l’invoquent comme une sainte.
Un domestique vient annoncer à Alphonse que des hommes à cheval demandent à lui parler aux portes du château ; ne doutant pas que ce ne soient les amis qu’il a priés d’être témoins de son bonheur, il court à leur rencontre ; mais il ne reparaît pas, et bientôt au lieu de lui, c’est Zampa qui se présente ; Zampa qui s’oppose à la conclusion de l’hymen projeté et qui se flatte de ne point trouver d’obstacles à sa volonté. Il remet à Camille une lettre de son père qui est tombé entre les mains du pirate, et qui conjure sa fille de lui sauver la vie et de lui rendre la liberté en accordant à Zampa tout ce qu’il exigera. Camille offre tous ses trésors ; mais les richesses, il les dédaigne : c’est elle-même qu’il veut posséder. Pénétrée de douleur, elle se retire dans son appartement, et livre son château et tout ce qu’il renferme à la discrétion de Zampa et de ses compagnons. Un repas est servi, le vin coule en abondance, les têtes se montent et les propos impies circulent parmi les convives. Certain Daniel, mari de Ritta, suivante de Camille, exerçait autrefois le métier de pêcheur, et après avoir disparu avec sa barque, s’est lait compagnon de Zampa. Bien que pirate déterminé, il lui reste des scrupules religieux, et jamais il ne commet un meurtre sans faire dire des messes pour le repos de l’âme de sa victime. L’impiété de ses compagnons renouvelle ses terreurs superstitieuses ; mais celles-ci sont au comble quand il voit devant ses yeux la statue d’Alice Manfredi, de cette jeune fille si cruellement trahie par son capitaine. Zampa se rit de ses frayeurs ; il s’approche de la statue, et lui passant au doigt son anneau, il déclare qu’il la prend pour sa fiancée jusqu’au lendemain. Chacun applaudit à cette idée : mais avant de quitter la galerie, Zampa veut reprendre son anneau ; alors le courage des pirates est mis à une rude épreuve, car la statue étend tout à coup son bras et le ramène vivement en serrant l’anneau. Malgré sa fermeté, Zampa est ébranlé, et les pirates épouvantés se précipitent contre terre. Ce coup de théâtre termine le premier acte.
Au deuxième, tout se prépare pour le mariage de Zampa avec Camille Lugano. Ce Zampa n’est autre que le comte de Monteza, frère aîné d’Alphonse. Dans sa jeunesse, des amis débauchés l’ont jeté dans un genre de vie aventureux et agité qui a fini par l’obliger à se faire chef de pirates. Son frère Alphonse ne l’a point connu, parce qu’il est beaucoup plus jeune ; il ignore que ce Zampa dont il a reçu le signalement n’est autre que son frère. Alphonse vient de s’échapper des mains des pirates ; il a appris que Camille a consenti à donner sa main à un étranger ; il veut s’opposer à cet hymen. Son rival est devant ses yeux ; Alphonse reconnaît les traits dépeints au signalement, et ne doute plus que ce soit Zampa lui-même qui veut lui enlever sa maîtresse. Un des compagnons du pirate vient d’être arrêté sur la côte au moment où il débarquait. Il était porteur d’une lettre dans laquelle Alphonse espère trouver la preuve que l’homme qui est devant lui n’est autre que Zampa ; mais cette lettre, qui est du vice-roi, contient le pardon du pirate, et l’acceptation de ses services dans la marine de l’État. Furieux, Alphonse brise son épée et s’éloigne, la chapelle s’ouvre, et un prêtre bénit l’union de Camille et de Zampa ; mais l’apparition de la statue d’Alice dans le temple vient frapper celui-ci de terreur et le rideau tombe.
Le troisième acte se passe dans l’appartement de Camille. Alphonse, qui a appris le motif qui l’a déterminée à donner sa main au brigand, pénètre près d’elle pour l’engager à le suivre ; mais elle est irrévocablement l’épouse de Zampa, elle résiste aux prières de celui qu’elle aime. Surpris par le pirate et ses amis, Alphonse veut se défendre, mais il est entraîné. Camille supplie son époux de lui permettre de se retirer dans un couvent, mais c’est en vain. Zampa veut user de ses droits, une lutte s’engage, Camille se réfugie dans une alcôve ; Zampa s’y précipite après elle, mais au lieu de sa femme, c’est la statue, la fiancée de marbre qu’il y trouve ; elle le saisit dans ses bras et disparaît avec lui dans les entrailles de la terre. L’appartement disparaît, et l’on aperçoit le rivage de la mer. Camille, accompagnée d’Alphonse et de ses amis, y reçoit dans ses bras son père, rendu à la liberté par le sacrifice qu’elle a consommé.
Il y a de l’intérêt dans cette pièce, et même de l’art dans les dispositions des deux premiers actes. Le troisième n’est pas exempt de quelque embarras ; la substitution de la statue à Camille dans l’alcôve n’y a pas été faite avec adresse à la première représentation, et cela a jeté quelque froideur sur le dénouement. Le principal écueil était la ressemblance des effets de cette statue avec celle du commandeur dans Don Juan ; mais M. Melesville a fort bien fait de ne pas s’effrayer de cette ressemblance, puisqu’il en a tiré le principal intérêt de sa pièce. Peut-être ferait-il bien de supprimer au second acte une des apparitions de cette statue : en multipliant ces effets, on les affaiblit. Un mérite assez rare et assez remarquable de ce drame est celui de la position des morceaux de musique qui sont en général bien amenés. Enfin Zampa me semble à la lettre un fort bon poëme d’opéra.
La musique que M. Hérold a composée pour, cet ouvrage est une des productions les plus distinguées sorties de sa plume ; dans mon opinion, c’est même la meilleure ; et cet ouvrage me paraît lui assurer une place honorable parmi les plus habiles compositeurs de l’école française. Le caractère des morceaux principaux est bien saisi et a de la couleur dramatique ; plusieurs mélodies sont d’une forme très heureuse, et l’instrumentation est remplie d’effets neufs et piquans, quoiqu’on puisse lui reprocher d’être quelquefois trop bruyante. Enfin, dans cet ouvrage, on sent la conscience d’un artiste qui a voulu bien faire et qui a écrit pour lui avant de songer aux autres ; dans les arts, il n’y a que ces sortes de productions qui vivent. Plusieurs morceaux de la partition de Zampa méritent d’être particulièrement distingués. De ce nombre sont, 1o l’introduction ; 2o un fort beau quatuor ; 3o l’air de Chollet au deuxième acte ; 4o un duo qui se termine en trio, où se trouve une phrase charmante chantée par Mme Boulanger, et qui aurait pu être reproduite avec avantage ; 5o le finale du deuxième acte, brillant d’une multitude de détails remarquables ; 6o et enfin un duo plein de chaleur et de passion au troisième acte. Certes, un opéra qui contient tant de bonnes choses est un bon ouvrage. Après avoir pris une si belle position dans son art, il ne reste plus à M. Hérold qu’à marcher dans cette route pour arriver à une réputation brillante et solide.
Chollet et Mme Casimir ont bien chanté leurs rôles ; Mme Boulanger et Féréol ont bien joué les leurs ; quant à celui de Moreau-Sainti, il est peu important.
Le succès le plus complet a accueilli la première représentation de Zampa, et de ce jour date la régénération de l’Opéra-Comique, régénération d’autant plus complète, d’autant plus satisfaisante, que M. Lubbert l’a conçue d’une manière toute musicale, et que les sacrifices ne lui ont point coûté. Trop long-temps la musique n’a été que l’accessoire de l’opéra-comique français ; pour lui donner l’importance qui lui appartient, il fallait agrandir les moyens d’exécution ; c’est ce qui vient d’être fait.
FÉTIS.
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Zampa ou La Fiancée de marbre
Ferdinand HÉROLD
/MÉLESVILLE
Permalien
date de publication : 16/06/25