Concerto pour la main gauche
En 1929, le pianiste autrichien Paul Wittgenstein, amputé de son bras droit pendant la Première Guerre mondiale, commande à Ravel un concerto pour la main gauche. Le 5 janvier 1932 au Grosser Musikvereinsaal de Vienne, avec l’Orchestre symphonique de Vienne placé sous la direction de Robert Heger, il crée cette partition d’une seule coulée, où les cinq doigts semblent dotés d’un pouvoir d’ubiquité. La contrainte d’utiliser la seule main gauche conduit Ravel à inventer des formules inédites et une nouvelle façon de faire sonner l’instrument, qu’il n’aurait sans doute pas soupçonnées sans cela. L’œuvre nécessite une performance physique hors du commun, une lutte du soliste avec son instrument. Ce combat, le pianiste le mène aussi contre un orchestre menaçant. La superposition d’éléments thématiques en apparence incompatibles produit des harmonies grinçantes. Le Concerto pour la main gauche commence par un grouillement indistinct, dont émerge peu à peu une ligne mélodique. Un long crescendo conduit aux scansions féroces du second volet, qui contient « beaucoup d’effets de jazz » selon les propres termes de Ravel. Pas un jazz de music-hall, mais celui, nerveux et agressif, qu’on pouvait entendre dans Blues, le deuxième mouvement de la Sonate pour violon et piano (1927). Si le soliste épanche par moments un lyrisme intériorisé et mélancolique, si des épisodes plus légers apportent une détente bienvenue, de longues progressions se dirigent vers un inéluctable cataclysme. Comme La Valse (1920), hommage à la Vienne impériale anéantie par la Première Guerre mondiale, le concerto semble lui aussi se souvenir de cette catastrophe.
Permalien
date de publication : 25/09/23
Accéder à la recherche