Jeux d’enfants

Si Bizet était un remarquable pianiste, il n’a guère écrit pour son instrument. Son unique partition à quatre mains, Jeux d’enfants, est pourtant l’une de ses œuvres les plus célèbres. Achevée à l’automne 1871, dédiée « à Mesdemoiselles Marguerite de Beaulieu et Fanny Gouin » (dont on ne sait rien), elle comportait à l’origine dix numéros, Les Bulles de savon et Les Quatre coins étant ajoutés seulement au moment de la publication. Bizet orchestra ensuite cinq pièces (n^os 2, 3, 6, 11 et 12) dont il modifia l’ordre, pour façonner une Petite Suite créée le 2 mars 1873 sous la direction d’Édouard Colonne. Il supprima alors les titres, qu’il jugeait « trop enfantins ». Toutefois, le recueil pianistique est indissociable du monde de l’enfance. Quand le compositeur le termine, il sait qu’il va être père (son fils Jacques naîtra le 10 juillet 1872). En outre, l’évocation des petites têtes blondes ne lui renvoie-t-elle pas sa propre image et celle de son couple ? Car il appelle son épouse Geneviève « Mon bébé » et signe les lettres qu’il lui adresse « Ton bébé qui t’aime » ! Contrairement à Schumann (Scènes d’enfants), il n’idéalise pas l’enfance. Il ne traduit pas non plus ses mystères, ses angoisses et ses rêves, qui inspireront plus tard Ravel (Ma Mère l’Oye). Avec une candeur et une fraîcheur touchantes, il représente ses divertissements au moyen de motifs figuralistes. Mais il s’adresse à des enfants auditeurs et non interprètes. La difficulté de la plupart des pièces (notamment La Toupie et Le Bal) exige en effet des pianistes aguerris, voire virtuoses.